La formule préférée du professeur – Yōko Ogawa [AVIS, SANS SPOIL]

Petit mot introductif : Lu ce mois-ci pour le club de lecture. Toujours dans l’optique de lectures autour du monde, le focus était mis cette fois sur une auteur japonaise. Le livre est très court, 148 pages et je l’ai lu en une après-midi. En anglais, d’ailleurs mais il est aussi traduit en français. Nous en avons discuté pendant trois longues heures et nous étions plutôt d’accord, c’était une lecture agréable. Enfin un avis positif sur ce blog! ah, ah.

J’ai aussi lu les trois premiers tomes de La Passe-Miroir de Christelle Dabos. Je ne sais pas encore si j’écrirais un avis sur touuuute la saga mais ça me tente!


C’était un petit livre tout en douceur. Je suis très heureuse qu’il me soit passée entre les mains. Je dis toujours que je veux lire plus de littérature japonaise mais ne prends pas le temps de le faire – j’ai tant de choses à lire. Une chose est sûre cela-dit : je relirai Yōko Ogawa volontiers! J’ai trouvé l’intrigue très japonaise, tout comme le style d’écriture. Alors, que veut dire un style « japonais »? Pour moi, c’est quelque chose de très droit au but, de très franc, descriptif mais dosé, sans sursaut d’émotions, où l’emphase est davantage mise sur les événements que sur la perception des personnages. Narrateur omniscient, références évidentes au Japon – tellement d’auteurs japonais n’écrivent que des intrigues se déroulant au Japon, d’ailleurs, ce qui rend l’immersion très intense car l’environnement est parfaitement connu de l’auteur. En tous cas, ce style m’a fait penser à Higashino et Murakami. Peut-être que c’est la traduction qui fait ça, mais mon japonais est encore trop sommaire pour que je puisse en juger.

L’aide à domicile – dont on ne connait pas le nom mais qui est le personnage principal – nous raconte ici l’histoire de sa rencontre avec le Professeur, un homme âgé qui, après un accident de voiture, s’est vu amputé de sa mémoire, celle-ci ne pouvant désormais stocker l’information que pendant 80 minutes. Le lien que cette dame et son fils tissent avec le Professeur est au centre de l’histoire, s’entremêlant aux notions mathématiques et aux explois sportifs de l’équipe de baseball japonaise des années 90. Ces deux thèmes sont véritablement omniprésents mais ne requièrent pas de connaissances spécifiques pour apprécier l’histoire pleinement. Les maths sont utilisées intelligemment, pédagogiquement aussi tandis que le baseball sert de noeud solide pour maintenir cette petite famille recomposée ensemble. J’ai adoré les suivre au fil de leur quotidien, tout en me doutant de l’ineluctable ; un tel handicap possède ses limites, qui seront mises à rude épreuve. Il n’y a pas d’enjolivement de la maladie ni de la problématique du déclin. On s’attache encore plus aux personnages en sachant qu’ils vivent follement le moment présent, avec tellement d’amour, de compréhension, de patience et d’empathie. Le ton reste léger sur fond de mystère. Effectivement, plein de questions font surface et Ogawa ne nous apporte pas forcément de réponse. C’est un peu à nous de relier les éléments, de combler les trous et de nous faire notre propre interprétation des choses. Je conçois que ça puisse être frustrant, mais ça ne l’a pas été pour moi.

Je regrette un petit manque d’explications quant au fonctionnement de la mémoire du professeur, qui ne paraît pas toujours cohérente, l’auteur se permettant quelques facilités narratives. Je partais cependant avec un background, ayant lu La Mémoire Fantôme de Thilliez qui aborde très bien ce thème et apporte des précisions sur son fonctionnement (même si les deux histoires sont fictives, celle-ci m’a aidé à mieux comprendre l’autre). La personnage principale a notamment un carnet électronique dans lequel elle note toute sa vie pour ne pas oublier et lui permettre de vivre normalement. Le Professeur (années 1990 obligent!) écrit lui aussi des post-it qu’il épingle sur ses constumes pour ne pas perdre le fil des événements. Ce détail m’a d’ailleurs tellement touché! Le livre est plein de toutes petites choses qui moi m’ont vrillé le coeur et m’ont rappelé ma grand-mère, qui était atteinte de la maladie d’Alzeimer. Le livre traite de la difficulté pour les proches de s’occuper de quelqu’un qui ne se souvient pas de qui vous êtes, du sentiment de colère et d’injustice mais aussi de deuil qui peut vous saisir. J’ai adoré l’honnêté de l’auteur.

Le personnage principal manque un peu de personnalité, elle se met très en retrait dans son propre récit. Je ne sais pas si je dois l’imputer à la façon dont est vue la femme au Japon ou au recul que prend le personnage sur sa propre histoire. C’est un personnage féminin très fort à sa manière, pas « badass » comme la mode le veut en ce moment mais moi qui m’a impressionnée par son tempéramment de mère célibataire qui sacrifie beaucoup pour le bonheur de son enfant, qui sait s’excuser, se remettre en question et prendre des décisions difficiles. J’y ai été sensible et ça rejoint un peu mon propos sur la sincérité de ce livre. Je le recommande fortement, c’est une petite lecture bouleversante qui fait du bien.

– I.F.F.

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