Terre Liquide – Raphaela Edelbauer [AVIS, SANS SPOIL]

Petit mot introductif : Ce livre est ma lecture du mois de décembre pour le club de lecture dont je parlais dans mon précédent article. On s’est décidé pour une lecture autrichienne mais j’ai tout de même lu ce livre en anglais et non en allemand. J’ai pourtant décidé de rédiger cet avis en français, me sentant cette fois plus inspirée dans ma langue maternelle. On sait jamais ce qui sort de nos cerveaux polyglottes… Il n’y a pas de spoil entâchant la lecture dans cet avis, mais j’évoque quand même des choses précises.

Ce mois-ci, j’ai également lu L’Assomoir de Zola et La fête de l’insignifiance de Kundera. Vous pouvez retrouver des avis plus concis de certains livres que je lis sur mon compte instagram.


Je suis ravie d’avoir pu découvrir cette auteur autrichienne contemporaine. Lorsque mon copain a vu ce livre traînant dans notre appartement, il m’a dit : « oh! je la connais. Je n’ai pas lu le livre, mais je la connais. C’était une de mes profs à la fac. » Ca m’a encore plus emballé, ressentant une forme étrange de proximité illusoire avec l’écrivain en question. Je remercie donc les membres de notre club de lecture qui ont conseillé ce petit roman ce mois-ci! Nous nous focalisons sur des auteurs* féminines du monde entier, me forçant à élargir mon champ de lecture qui est d’ordinaire, je l’avoue, assez restreint… Venons-en au livre!

* Vous l’avez peut-être remarqué, je ne féminise jamais les mots « auteur » et « écrivain » ou de manière très très sporadique. J’y reviendrai dans un article plus précis sur ce choix.

Je commence par parler brièvement de l’édition, ce que je ne fais jamais mais là, la couverture m’a tellement plue que je me devais de le mentionner! Je ne suis pas très regardante d’habitude sur les choix de design, ou sur les résumés des quatrièmes de couverture – bien que j’ai mes petits chouchous à savoir les formats Folio de poche et les éditions J’ai Lu hihi. Je possède l’édition anglaise Scribe de 2021 imaginée par Nathan Burton. Le touché est d’une douuuuuceur fantastatique et les dessins en relief apportent vraiment ce côté un peu ancien d’un vieux manuscrit effleuré par le temps. Je trouve ce choix très cohérent avec l’histoire et je reconnais le travail de réflexion fait à cet égard. Les couleurs rouges, blanches et vertes représentent évidemment l’Autriche dans l’imagination collective, et les motifs qui bordent la page ainsi que les petits personnages vêtus de vêtements traditionnels font écho à ce qu’on attend d’une intrigue qui se déroule dans un petit village autrichien perdu entre forêts et montagnes… Si j’avais vu ce livre au détour d’une expédition en librairie, je l’aurais certainement acheté! Il me parle certainement d’autant plus que je vis ici.

Raphaela Edelbauer nous plonge très rapidement dans le vif du sujet. Les parents de Ruth Schwarz, physicienne éminente en pleine rédaction de sa thèse doctorale, viennent de mourir tragiquement dans un accident de voiture. Originaires du mystérieux village de Groß Einland, Ruth désire leur offrir des funérailles où ils ont leurs racines comme ils l’auraient souhaité. Ne possédant que très peu d’informations concernant le lieu en question, Ruth se lance dans une recherche frénétique à l’aide de ses souvenirs et finit par découvrir où il se cache. On découvre alors le décor pitoresque figé dans le temps d’un typique village autrichien avec son église, sa mairie, ses petits commerçants, ses tavernes traditionnelles, son école mais aussi son château duquel règne une étrange contesse et « le Trou », ancienne mine d’où s’étirent des kilomètres de galeries sous la ville qui menacent de la faire totalement s’écrouler.

J’ai adoré la description qui est donnée du village. J’ai personnellement visité plusieurs mini villes autrichiennes dans plus régions différentes, et j’ai parfaitement retrouvé l’ambiance de Groß Einland. L’univers est très immersif et je n’ai eu absolument aucune difficulté à me projeter dans les différents établissements que fréquente les personnages, et à me balader dans les rues qui portent des noms tous aussi autrichiens les uns que les autres. On sent de l’auteur une bonne connaissance de son pays, mais aussi une volonté de retransmettre fidèlement et fièrement ce qui fait l’identité de l’Autriche. Les tavernes, où sont servies les Schnitzel et les bières en pintes à des clients réguliers assis à des tables en bois collées les unes aux autres, les rues pavées, le cloché et la tour de l’église et son style si particulier au toit carré, le festival avec les fanfares et les gens habillés de Lederhosen et de Dirdln… tout ça rend si bien hommage à la réalité de l’Autriche que j’en ai été beaucoup amusée. J’ai également retrouvé quelques inspirations de Vienne où vit l’auteur! L’ambiance calfeutrée des villes autrichiennes où tout le monde se connait, où tout le monde partage les mêmes petits secrets, où tout le monde cherche à protéger son cocon des étrangers est assez fidèle. On se sent comme Ruth : extérieure et toujours un peu en décalage. Bien qu’elle y passe quelques années sans interruption et que ses parents soient natifs, elle ne fera jamais vraiment partie des « Groß Einlanders »…

J’ai plongé assez facilement dans l’histoire, et même le lendemain après avoir conclu ma lecture, le livre me reste encore en mémoire comme si je n’en étais pas encore sortie. Deux possibilités peuvent expliquer cela : une attache à l’intrigue et aux personnages résultant en une lecture rapide qui ne facilite pas le passage à un autre livre OU un besoin de réponses qui n’a pas été satisfait. Je pars sur la deuxième explication. L’intrigue soulève plusieurs points, plusieurs questionnements, plusieurs sortes de sous-intrigues qui se doivent d’être toutes résolues d’une façon ou d’une autre. Sans détailler pour ne pas spoiler, j’ai compté : retracer l’histoire de sa famille et expliquer la présence répétée de ses parents dans le village sans qu’elle ne le sache, le Trou (la mine, son histoire, son propriétaire, son origine…), le sauvetage de la ville qui menace de s’écrouler et qui dépend de Ruth et de ses connaissances scientifiques, la problématique des anciens camps de concentration dans la région qui a laissé des mystères planner sur la ville, la rédaction de sa thèse, et la présence bizarre d’une contesse et d’un maire simultanément… Ruth essaye de se concentrer sur tout cela à la fois, parfois au détriment d’autres intrigues qui à mon avis méritent plus d’insistance que d’autres. J’ai trouvé le propos parfois un peu éparpillé, alors que toutes les idées soulevées m’intéressaient. Je n’ai pas eu toutes mes réponses. Certains points restent pour moi, inachevés et ça m’a assez frustré.

Je n’ai pas du tout réussi à m’attacher aux personnages. Aucun. Ni à Ruth, ni aux personnages secondaires que j’ai jugé trop superficiels. On ne connait que très peu de choses d’eux et ils n’apparaissent que pour faire avancer un peu l’intrigue. Ruth est désagréable et son deuil n’excuse pas tout. A de nombreuses reprises, elle force les autres personnages à lui révéler des informations dans des conversations lunaires, sans qu’aucun lien relationnel ne justifie un tel comportement. Les faiblesses de ce roman s’expliquent, je pense, dû au fait qu’il s’agisse d’un premier roman de fiction pour l’auteur. On sent qu’elle a des choses à dire, qu’elle souhaite construire un univers complexe aux multiples facettes mais que le format d’un seul livre ne se prête pas à cette ambition. Beaucoup d’événements se déroulent par chance totale et ne sont pas crédibles dans un roman qui a ses racines dans la réalité. Je m’explique : Groß Einland existe, bien que le doute est permis à plusieurs reprises. Il est bien décrit qu’il est situé en Basse-Autriche, que des touristes viennent visiter la ville, que des travailleurs entrent et sortent sans problème, que l’accès n’est pas limité, et bien qu’il ne figure pas sur les registres, les explications données sont cohérentes et crédibles.

Plusieurs sources attestent de la véracité des propos énoncés. Cependant, on a souvent l’impression d’une irréalité de l’intrigue par ce qui se arrive à Ruth : elle découvre le village PAR HASARD en s’arrêtant à une station service où deux hommes en parlent, elle découvre un lieu dont parlait son père PAR HASARD, sa voiture se détruit PAR HASARD en entrant dans le village et l’empêche de repartir, elle rencontre des personnages qui lui indiquent des informations cruciales au détour d’événements banals vraiment PAR HASARD… J’ai ressenti comme une espèce de deus ex machina continuel. Il faut faire avancer l’histoire, peu importe comment, même si c’est brusque, hasardeux et pas plausible. Un personnage ne peut pas avoir autant de chance à répétition et ce sans jamais se poser de questions. D’ailleurs, j’ai vu plusieurs sources classer ce roman comme « fantastique » et je ne suis pas du tout d’accord. Il n’y a strictement rien qui sorte des frontières de la réalité crédible du monde comme on le connaît, bien qu’on puisse parfois en douter… Le doute est vite effacé.

Quelque chose que je déplore également et impute au « premier roman » est que de nombres explications quant aux événements passés sont fait soit via des dialogues interminables, soit via des retranscriptions de livres ou articles que lit Ruth. J’aurais aimé découvrir l’histoire de Groß Einland de manière plus subtile. Ces procédés semblent un peu « faciles », mais au final n’entâchent pas le plaisir de lecture.

La réflexion sur le temps est intéressante dans ce livre. Ruth écrit sa thèse à ce sujet, et est elle-même à de nombreuses reprises confuse quant à la façon dont s’écoule le temps à Groß Einland (renforçant d’autant plus l’idée de village fictif). J’ai bien aimé l’idée selon laquelle le temps présent et passé ne sont en fait qu’un qui nous relie au monde du « Rêve », au monde des ancètres et que ce lien qui unit les gens est en fait infini et éternel. On a accès également à quelques extraits de la thèse de Ruth qui partage les avancées de ses réflexions sur le temps mais qui ont toujours un rapport avec les événements se déroulant simultanément dans la ville. Le petit univers de Groß Einland tombe à pic pour la thèse de Ruth, qui non seulement finit par trouver un moyen de se plonger dans son travail universitaire mais également un foyer et un refuge contre sa précédente vie qu’elle ne supportait plus.

C’est un peu la métaphore de l’oeuvre, je pense. « Groß Einland », difficile à traduire mais qui s’oriente vers « gros/grand pays interne, pays intérieur » tout en étant une minuscule ville perdue dans la nature représente bien ce qu’un être humain peut ressentir, piegé dans son corps. Ruth est submergée par ses émotions, par sa vie, par son travail à Vienne, par les contacts humains, les responsabilités incessantes, la technologie oppressante. Elle trouve dans Groß Einland exactement ce dont elle avait besoin pour pouvoir faire le vide en elle-même et faire un point sur ce qu’elle souhaite pour l’avenir. La mort de ses parents a été pour elle un nouveau départ. Elle se consacre pendant quelques années sur quelque chose qui n’a rien à voir avec le monde extérieur – d’ailleurs, plusieurs personnages lui font ce reproche. Pourquoi désire-t-elle déterrer les secrets de Groß Einland quand elle pourrait faire une différence dans la « vraie vie »? Ruth souhaite, en réalité, résoudre le casse-tête de son existence avant de se reconnecter au monde. Je pense que beaucoup d’entres nous ont voulu un jour tout laissé tomber et s’enfuir dans un Groß Einland pour faire quelque chose de complètement différent et trouver du sens. Ruth, elle, a eu cette opportunité.

Je souhaitais évoquer aussi le problème de la traduction. Je n’ai pas la version française, mais la version anglaise donc et bien que je n’ai aucun problème avec la langue, ce livre a été parfois un défi. Beaucoup de termes sont très étranges, très alambiqués, très « antiques ». Les phrases sont très longues (typique de l’allemand) et parfois difficiles à suivre. J’en ai discuté avec des anglophones et ça a été la même chose pour eux, mais apparemment le livre serait de base compliqué à traduire, ce que je n’ai aucune peine à croire. Le style est particulier et est un peu déroutant au début. Une fois accomodée, ça va mieux mais il peut sûrement freiner certaines personnes.

Au final, je reste un peu sur ma faim. J’ai envie d’en savoir encore plus, de la voir explorer davantage, d’avoir plus de plot twists, de surprises, de rebondissements… C’était au final un roman très linéaire sans vague alors qu’il y a tellement de potentiel pour quelque chose d’inoubliable. Ca a été une lecture agréable, et je le recommande avec plaisir. J’attends également de lire d’autres livres de l’auteur qui je suis sûre saura mieux doser ses intrigues et plus me surprendre.

– I.F.F.

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